Ma Vélosophie !
Il
y a, dans les voyages à vélo, une philosophie intacte et inaltérable.
Il
y a ces souvenirs d’enfance, ces élans d’audace et d’innocence, ce jeu d’équilibre
toujours renouvelé et cette révélation : la stabilité se trouve dans le
mouvement. Il y a ce sillon que l’on laisse derrière soi et cette étrange façon
d’avancer, pour laisser sa trace. Il y a ce bruit âcre des pneus qui mordent la
piste. Il y a cette mélodie caoutchoutée que joue sous nos roues les montagnes,
les déserts, les continents. Cette musique d’un chemin qui crisse sous les
dents des pignons. Il y a cet appétit de graviers que l’on grignote, de kilomètres
que l’on avale, de dénivelés dont on ne fait qu’une bouchée. Il y a cette faim
d’exploration, si longue à épancher.Il y a dans cette aventure, une façon de
faire corps avec la terre, de respirer la poussière, de s’abandonner tout
entier au pays que l’on traverse. Il y a dans le voyage à vélo, cette façon de dérouler
lentement la planète sous le fil de nos roues, sans urgence, sans impatience. L’unité
de temps devient la journée passée sur le vélo. Il y a ce rythme doux qui nous
manquait.Il y a ce réveil aux premières lueurs du jour, ce repos quand vient la
nuit. Il y a ces matins auxquels on goûte, sur le seuil de la tente, avec de l’impatience
et parfois un peu d’angoisse ; matins de montagnes, matins de déserts, matins
pleins de promesses où il n’y a rien, mais où l’on a la sensation d’avoir
tout.Il y a cette brèche osée dans nos vies structurée, organisées, efficaces.
Cette entaille rebelle où s’infiltrent l’imprévu, l’intuition, l’étonnement, la
surprise et cette envie d’avancer vers l’inconnu.Il y a cette allure que l’on
prend comme on progresse, nez au vent, armé d’un beau panache et d’une
courageuse désinvolture. Il y a la découverte de nos ressources sûres, qui ne
puisent pas ou peu dans notre force physique, mais dans notre humour, notre
simplicité, notre optimisme. Il y a enfin, dans le voyage à vélo, l’humble aveu
d’un pas vers l’autre. Avec ses efforts pour sésame, le voyageur rencontre l’homme.
Hors de sa bulle, sans vitre ni écran entre lui et le décor, il voit, parle, goûte,
touche et respire, saisit le privilège de créer la surprise, attrape et
distribue des sourires sur son passage. Et lorsque qu’il pose un pied à terre,
c’est pour prendre le temps de connaître son hôte. …